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RENAUD LEBLOND

Littérature générale

Biographie

Éditeur et écrivain, Renaud Leblond est l’auteur de plusieurs livres d’histoire et d’enquête, dont Main basse sur le génome (Anne Carrière, 2008), Le Pouvoir des sectes (Le Chêne, 2009) et le Journal de Jules Rimet (First Éditions, 2014). Passionné de sport, il a fondé en 2012 le Prix de littérature sportive Jules Rimet.


Jamais Alfred Nakache, enfant juif de Constantine, n’aurait imaginé défendre un jour les couleurs de la France aux Jeux olympiques de Berlin, en 1936. Ni décrocher le record du monde du 200  mètres brasse papillon en 1941, sous le régime du maréchal Pétain. À force de volonté, armé d’un invincible sourire, lui qui, gamin, avait peur de l’eau, s’est hissé au sommet des podiums. Mais, lors des championnats de 1943, le voilà interdit de bassin. En décembre de la même année, «  le poisson  », comme on le surnomme, est arrêté, puis déporté à Auschwitz. Il y bravera ses gardiens en allant nager, au péril de sa vie, dans des réserves d’eau à l’autre bout du camp. Sans savoir s’il reverra un jour sa femme et sa fille, dont il a été séparé, sur le quai, à l’arrivée du convoi 66. Le roman vrai d’un héros oublié qui aura pratiqué son sport jusqu’en enfer, avant de renouer avec le plus haut niveau.

 

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Qui est Alfred Nakache ?

Un immense champion de natation. Un survivant de la Shoah. Un héros oublié qui a fait preuve d’un courage extraordinaire en nageant, à ses risques et périls, dans des réserves d’eau du camp pour « se sentir vivant » et donner de la force à ses camarades. Alfred Nakache est un enfant de Constantine, en Algérie, ville millénaire posée sur un rocher qu’on appelle la « Cité des passions ». Il est né en 1915 dans une famille juive traditionnelle. Il a grandi dans une éducation religieuse stricte, mais aussi dans la bonne humeur d’un clan soudé qui a pris l’habitude de se retrouver au bord de la superbe piscine Sidi Mcid, au fond des gorges de Rummel. Le problème, c’est qu’Alfred n’aime pas l’eau et ses frères se moquent de lui affectueusement. Une vraie phobie. Il en souffre, mais il va surmonter sa peur grâce à un nageur de l’armée française qui s’entraîne pour les championnats militaires d’Afrique du Nord. Grâce à ses conseils, à ses encouragements, Alfred prend confiance. Il nage de plus en plus vite. C’est le début d’un incroyable parcours de champion. Meilleur nageur d’Algérie, surnommé « le poisson », il quitte Constantine en 1933 pour rejoindre un grand club parisien.

Quel type de nageur est-il ?

À Paris, son entraîneur mesure, plus que la qualité de son style, sa force musculaire exceptionnelle et son mental à toute épreuve. C’est un compétiteur qui garde le sourire en toutes circonstances, volontiers facétieux, et cette personnalité pétillante va bientôt conquérir le cœur des Français, lui dont les portraits s’étalent désormais dans la presse au fil des victoires. Il fait notamment la une de Match en tirant la langue, son gimmick. Il devient aussi un as du papillon, cette nage spectaculaire qui émerge à peine et qui est réservée aux plus costauds. Tout est réuni pour qu’il suscite aussi des jalousies. Son principal rival, Jacques Cartonnet, grand bourgeois parisien et styliste hors pair, ne va pas supporter que Nakache lui vole la vedette et, surtout, le batte dans sa discipline reine : la brasse. En 1941, Alfred a dû quitter la zone occupée pour pouvoir continuer à nager. Il a rejoint le célèbre club toulousain des Dauphins. Sous ses nouvelles couleurs, il décroche un extraordinaire record du monde en 200 mètres brasse papillon. Son rival ne cesse alors de le torpiller dans la presse. Jacques Cartonnet devient même, après l’occupation de la zone sud en novembre 42, l’un des chefs de la milice de Haute-Garonne. Nakache est bientôt, comme tous les juifs, interdits de bassin, suscitant l’indignation de ses copains des Dauphins qui décident de boycotter les championnats de France. Mais rien n’y fait : de star, Nakache devient paria. Arrêtés le 20 décembre 1943, les Nakache transitent par Drancy, où les officiers allemands reconnaissent Alfred qui a participé aux Jeux olympiques de Berlin, en 1936. Ils lui proposent de le libérer, mais sans sa femme et sa fille. C’est non ! répond bien sûr Nakache. Tous les trois sont déportés quelques semaines plus tard pour une destination inconnue qui se révélera être le camp d’Auschwitz.

Comment expliquez-vous sa miraculeuse survie ?

Ce qui va se passer dans le camp est à l’origine du surnom qu’on lui donnera plus tard : « le nageur d’Auschwitz ». D’abord parce que les officiers allemands qui l’ont reconnu sur le quai et l’ont séparé immédiatement de sa femme et de sa fille vont l’amener à se prêter à des démonstrations humiliantes dans des réserves d’eau. Par exemple – et c’est l’une des premières scènes du livre – l’« épreuve du poignard », qui consiste en plein hiver à aller chercher dans une eau trouble et glaciale un couteau jeté au milieu du bassin. Un échec, et c’est la sanction. Un succès, et c’est un repas amélioré. Les nazis feront ça avec tous champions et, notamment, avec le boxeur français Victor Perez, juif d’origine tunisienne, qui devra se livrer à des combats impossibles, lui le poids mouche, contre des nazis ou des kapos larges comme des armoires à glace… Mais ce surnom du « nageur d’Auschwitz », il le doit surtout au défi qu’il s’est lancé à lui-même : échapper à la surveil-lance des nazis et aller nager dans les réserves d’eau situées à l’autre bout du camp, uniquement pour mettre l’enfer à distance et se sentir vivant et libre. Au risque de se faire exécuter. Il l’a fait à plusieurs reprises, durant l’été 1944, avec la complicité de guetteurs, tous francophones. Il l’a fait pour lui, mais aussi pour donner force et espoir à tous ses camarades subjugués par tant de courage et de force vitale. Et pendant ce temps-là, Alfred n’a aucune nouvelle de sa femme et de sa fille. Juste avant la libération du camp par les Soviétiques, les nazis embarquent Nakache et des milliers de détenus vers d’autres camps en Allemagne. Le froid, la neige, la faim, les conditions sont dantesques. On appellera ça la «marche de la mort ». Le boxeur Victor Perez n’y survivra pas. Nakache, lui, tient le coup et se retrouve enfermé à Buchenwald. Mais, en France, une information reprise par tous les journaux annonce qu’il est mort quelque part en Silésie. On décide alors de donner son nom au Centre nautique de Toulouse. Une cérémonie rassemblant tous les édiles de la région est organisée. Quelques semaines plus tard, un journal affirme que Nakache est vivant. Il a perdu plus de vingt kilos et il est soigné dans un hôpital parisien. Personne ne peut le croire, et pourtant il revient à Toulouse. Formidablement accueilli par son entraîneur et ses anciens camarades, il reprend doucement des forces en effectuant tous les jours quelques longueurs. Toujours sans nouvelle de sa femme et de sa fille, il s’efforce de nager de mieux en mieux, comme pour conjurer le destin. Il se rend aussi chaque jour à la gare de Toulouse, une rose à la main, à l’arrivée du train de Paris, avec l’espoir de voir descendre les deux amours de sa vie. En avril 1946 le télex tombe, qui confirme qu’Annie a été gazée quelques heures après leur arrivée à Auschwitz. De Paule, il n’y a pas un mot. Le regard d’Alfred ne sera plus jamais le même. Il continuera à lutter, décrochant même en août, à Marseille, un nouveau record du monde en relais - le 3 X 100 mètres 3 nages -, mais en 1948, aux Jeux olympiques de Londres, ses jambes le lâchent.Il arrête la compétition, décide d’enseigner la natation et, chaque jour, à Cerbère, dans les Pyrénées-Orientales, traverse la baie à la nage. Jusqu’au jour où lui, l’enfant qui n’aimait pas l’eau, meurt d’une crise cardiaque en pleine mer. C’était en 1983, il avait soixante-sept ans.

En quoi cette histoire nous parle aujourd'hui ?

Cette histoire m’a bouleversé. J’en ai pris connaissance il y a trois ans, quand la presse a annoncé qu’Alfred Nakache avait été intronisé à titre posthume dans le saint des saints de la natation mondiale, le Swimming Hall of Fame, en Floride. Les Américains ont vu en lui la figure du héros, audelà de sa stature de champion. Je me suis mis à lire des témoignages de déportés et des biographies d’anciens nageurs qui ont côtoyé Nakache. Je me suis jeté à l’eau en essayant de me mettre dans sa peau, en imaginant ce qu’il a pu penser ou dire à tel ou tel moment de sa vie. Je me suis donné de la liberté dans les dialogues et les pensées intérieures, j’ai imaginé sa rencontre avec Paule, sa future épouse, j’ai aussi ajouté, pour les besoins du récit, quelques personnages secondaires, mais tous les faits importants qui ont jalonné sa vie et les articles de presse cités dans le livre sont exacts. C’est donc ce qu’on pourrait appeler un « roman vrai ». Ce livre, je pense, apporte un témoignage inédit sur l’antisémitisme et la persécution des juifs pendant l’Occupation, dans une sphère jusque-là peu explorée : le sport de haut niveau. Où, du jour au lendemain, on passe du statut de star à celui de maudit. Au moment où l’on s’apprête à commé-morer, cet été, le triste anniversaire des rafles de l’été 1942, ce livre peut contribuer aussi au devoir de mémoire et à la vigilance, plus que jamais nécessaire, face à la montée de l’antisémitisme. Enfin, je pense que les lecteurs découvriront aussi avec Alfred Nakache une personnalité extraordinaire-ment attachante, à la force vitale inouïe


 

Bibliographie

  • Le nageur d’Auschwitz, Editions Archipel, mai 2022
  • Emile Boutmy, le père de Sciences Po, 2013
  • Main basse sur le génome, 2008